Nous sommes tous des Intersexes

Peut-être pas tous, mais quand même beaucoup d’entre nous, quand on apprend que près d’un enfant sur cinquante nait Intersexué, c’est-à-dire avec des caractéristiques sexuelles des deux sexes, donc masculin et féminin. Je ne parle pas seulement des organes génitaux externes, mais d’autres facteurs qui détermineraient le sexe d’une personne, tels les gonades (testicules, ovaires), les hormones, les chromosomes.

S’il est difficile d’ignorer la conformité de nos organes génitaux externes avec les normes des deux sexes différents, qu’en règle général nous avons eu l’occasion d’être informé si nous avions ou pas des ovaires à l’intérieur de notre corps, il en va autrement de nos taux hormonaux – je rappelle que les deux sexes possèdent les deux hormones (œstrogène, testostérone), mais à des variabilités de taux différents – qui supposent d’avoir une occasion de faire la démarche. Quant à notre caryotype, nos chromosomes donc, qui le connaît ? Ce genre d’examen est souvent motivé par un problème de fertilité, dans le but d’en chercher l’une des causes. Mais pour quelle raison voudrions-nous le connaître alors que tout va bien. Et à titre de boutade, les scientifiques que j’ai interrogés, qui pourtant très concernés par le sujet du standard sexué, n’ont pas effectué pour eux-mêmes ce test.

Un instant tentée, je me suis ravisée ; pas seulement parce que le test est plutôt coûteux, de l’ordre de 200 à 300€, d’après ce que j’ai pu lire rapidement sur Internet, mais aussi à cause des doutes sur l’intérêt de le faire. Et le plaisir de ne pas savoir, de ne pas être mise dans une case, qu’une porte de sortie est ici peut-être, celle de l’Indéfinition.

Le savoir ou pas ? Avoir ce pouvoir de sortir du cadre qui semblait être pourtant défini une fois pour toute, à savoir que l’on est un homme ou une femme. Que la Nature, celle dont se sont réclamées de nombreuses générations d’experts en tout genre – médicaux, scientifiques, et autres – au lieu de répondre docilement au diktat de l’hermétisme de la dualité imparable se révèle ainsi espiègle et insoumise.

D’aucuns parlent de pathologies. Qu’il faut alors rectifier. Rectifier pour continuer à croire et à faire croire qu’il y a bien deux, et seulement deux sexes, parfaitement différents, et parfaitement opposés. Quand cela se situe uniquement au niveau des chromosomes, l’intervention médicalisée est impuissante, du moins selon les compétences actuelles, mais quand il s’agit des organes et des gonades, le scalpel peut faire son office.

Et quand cela concerne un enfant sur mille, peut-on vraiment parler de rareté ? Le nourrisson va subir des opérations, non parce que sa vie est en jeu, mais parce qu’il le faut (!). Et pour quel résultat ? Pour permettre une fertilité future qui était peut-être compromise ? Certainement pas puisque cela enclenche le plus souvent une stérilisation, sans se demander si l’adulte qu’il sera devenu voudra enfanter. Il s’agirait en fait de mettre dans une conformité hétérosexuelle supposant l’acte de pénétration comme ce qui « doit être » de la sexualité supposée normale, du pénétrant d’un côté au pénétré de l’autre. De ces conceptions étriquées qui mènent la plupart du temps à annihiler toute sensibilité sexuelle, donnant à ces actes chirurgicaux une parenté avec l’excision ; la suppression de la capacité d’avoir et de donner du plaisir qu’offraient ces parties génitales si singulières, mais vraies.

Et qui parlent d’anomalies ? L’anomalie n’est-elle pas de refuser de voir la diversité, la multiplicité, cette richesse que trop de scientifiques, de chercheurs, de médecins, et de quidams, refusent encore de voir, tellement focalisés à trouver ce qu’ils cherchent, ce qui confirme leurs présupposés, au lieu d’observer, d’apprécier, de s’étonner. D’accepter ce qui échappe.

Oui il y a des standards, des moyennes, des plus grandes proportions de certains éléments, mais cela signifie-t-il normalité ? Qu’au nom d’une normalité, il faille que chacun corresponde à tout prix à des grilles préétablies ? Et d’ailleurs préétablies par qui ? Et au nom de quoi ? Pour correspondre à quel précepte ? Religieux, politique ? Et basées sur quelle qualité de savoir ?

Si classifier permet de voir, cela cache aussi ce qui n’a pas été pris en compte. Autant dire que cela cache plus que cela ne révèle.

Quand il est question d’Intersexe, pensez-vous qu’il s’agit uniquement des humains, qu’à force de changer la nature, nous serions devenus des « dégénérés » ? Non, ces « anomalies », ces spécificités, se retrouvent aussi dans le monde animal ; et deviennent de moins en moins anormales depuis que l’on regarde autrement.

L’Intersexualité fait partie de la nature. Tout comme la sexualité entre animaux du même sexe, « découverte » si récente… Ces aspects qui nous font comprendre ainsi que la stérilité est naturelle, que si la reproduction fait partie de la vie, la sexualité sans reproduction aussi, créant du plaisir, des liens, qu’elle n’est pas qu’une fonction utilitariste. Est-ce cette évidence qui en gêne certains ?

Mais qui rend libre.

Voilà le cadeau que nous offre le savoir de l’Intersexuation.

La nature n’a pas créé des hommes et des femmes mais des personnes à variabilité sexuelle, qui entrent bien mal dans les cases hermétiques créées par des humains en mal d’ordre absolu. Peut-être que ces cases vous conviennent la plupart du temps ? Ou peut-être que vous collez parfaitement au standard médical qui vous fait homme ou femme, que vous êtes physiquement 100% typés, mais que vous ne vous sentez pas en phase avec le sexe social de votre pays, ou de votre famille ?

Ou peut-être êtes-vous vous même un Intersexe sans le savoir (ce qui concerne potentiellement tous ceux qui ne connaissent pas leur caryotype) ?

Rien de plus normal puisque finalement, d’une façon ou d’une autre, ne sommes-nous pas tous des Intersexes. Laurence Waki (le 19/05/2015)

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