« Luxe & Co », de Dana Thomas

Ou comment les marques ont tué le luxe.

Luxe & CoC’est avant tout un livre sur les changements économiques, résultats du néolibéralisme. Le luxe d’avant représente de nombreux secteurs d’activité, dont beaucoup ont déjà disparus, emportant leurs savoir-faire. Ce qu’on appelle le luxe aujourd’hui, ce sont des marques, qui avant étaient des maisons artisanales qui créaient du beau, du rare, voire de l’unique ; les noms sont restés, beaucoup moins les méthodes de fabrication ; baisse de qualité et des matières premières et du façonnage, délocalisations, restructuration, compétences des dirigeants plus orientées dans la finance que dans la création, le marketing remplace désormais la créativité.

Il s’agit désormais de gagner les courses aux profits, pas seulement du fait de l’entrée en bourse de ces sociétés, mais pour encore grossir, augmenter ses marges, pour ne pas se faire racheter, pour ne pas perdre complètement son âme. Ce sont toujours les mêmes noms, des éventails de prix plus larges mais restant élevés pour les produits suscitant du désir et marqueurs de statut social enviable, mais du faux luxe, au regard de la définition traditionnelle du luxe.

Qu’en est-il du vrai luxe, celui pour lequel l’auteur voue une évidente passion, que je partage ? On pourrait soutenir qu’il est question de la démocratisation du luxe, qu’il n’est plus besoin d’être très riche pour s’offrir des marques valorisantes. Et donc trouver que la massification du luxe a du bon. Sauf que le produit luxueux que l’on achète, n’a plus la qualité d’avant, il n’en a que l’image. Exception faite du grand luxe, plus du tout à la portée de tous, de l’extrêmement rare, abordable seulement aux ultra-riches. Peut-on vraiment parler de démocratisation du luxe ?

D’un côté du faux luxe, plus cher que sa valeur, qui n’est qu’un leurre et de l’autre une raréfaction des beaux produits qui avant pouvaient être abordables même de façon exceptionnelle. Des marques devenant des imposteurs du luxe enrichissant des hommes d’affaire comme Bernard Arnauld qui perd ici son statut d’esthète pour celui de stratège. Se dégage une forme d’obscénité sociale, puisque l’Economie déréglée permet à certains de s’enrichir à outrance, tout en tuant un savoir faire original, l’artisanat, la créativité, le développement sur le long-terme, ces mêmes qui pourtant sont les seuls à pouvoir s’offrir le vrai luxe, celui qui vous donne cet agréable sentiment d’être privilégié, d’obtenir des égards.

Ce livre reste un hommage au luxe, à ses acteurs qui subsistent encore, en plus d’éclairer sur la situation actuelle. Il est une somme sur le sujet. Une quantité d’informations impressionnantes. Qui propose en plus un index précieux pour mon écriture. Mais ce genre d’ouvrage est le résultat de nombreuses années de travail, de recherches à travers le monde, de multiples sources, de la collaboration d’une équipe de journalistes pour enquêter et vérifier l’exactitude de chaque affirmation ; si le livre en lui-même a pris trois ans à son auteur, c’est sans compter tous les articles écrits auparavant. Un modèle d’investigation, qui suppose passion et rigueur, pourtant insuffisant sans ces trois éléments : temps, financement et travail. Ce qu’a permis sa collaboration avec l’hebdomadaire américain Newsweek. Une autre facette de l’information, inversant ainsi le processus actuel du réactif, du court-terme. Peut-on imaginer cette même implication de nos hebdomadaires d’actualité comme Le Point ou L’Express dans ce genre de projet ? Laurence Waki (le 23/03/2015)

À vous de voir :

 » Luxe & Co, comment les marques ont tué le luxe », de Dana Thomas, Éditions j’ai lu, 8,20€

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